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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 3.djvu/92

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LE CID.

Voilà ce qu’a prêté l’histoire à D. Guillen de Castro, qui a mis ce fameux événement sur le théâtre avant moi. Ceux qui entendent l’espagnol y remarqueront deux circonstances : l’une, que Chimène ne pouvant s’empêcher de reconnoître et d’aimer les belles qualités qu’elle voyoit en don Rodrigue, quoiqu’il eût tué son père (estaba prendada de sus partes), alla proposer elle-même au Roi cette généreuse alternative, ou qu’il le lui donnât pour mari, ou qu’il le fît punir suivant les lois ; l’autre, que ce mariage se fit au gré de tout le monde (a todos estaba a cuento). Deux chroniques du Cid[1] ajoutent qu’il fut célébré par l’archevêque de Séville, en présence du Roi et de toute sa cour ; mais je me suis contenté du texte de l’historien, parce que toutes les deux ont quelque chose qui sent le roman, et peuvent ne persuader pas davantage que celles que nos

    aux biens qu’il tenait de son père, il grandit en pouvoir et en richesses. »

    L’Historia general d’España**, d’où Corneille a tiré le fragment qui précède son Avertissement, n’est qu’une traduction libre, faite par le P. Mariana lui-même, de son histoire latine, intitulée Historiæ de rebus Hispaniæ libri XXX, dont les diverses parties ont paru en 1592, 1595 et 1616. Voici le passage qui correspond, dans l’ouvrage original, au fragment espagnol cité par Corneille :

    Gormatii comitem Gometium non multo antea, in privata contentione, adacto in viscera gladio peremerat (Rodericus Diacius). Occisi patris, pro quo supplicium debebatur, merces Semenæ filiæ conjugium fuit ; quum illa juvenis virtutem admirata, sibi virum dari, aut lege in eum agi regem postulasset. Rodericus, ad paternam ditionem, dotali principatu occisi soceri auctus, viribus et potentia validus, etc.

    (Mariana, Historiæ de rebus Hispaniæ lib. IX, cap. v.)


    * Afin de pouvoir, sans paraître se donner trop de licence, ramener toute l’histoire à un seul jour, Corneille se sert un peu artificieusement du texte de Mariana, dont les mots : pocos dias antes (dans la rédaction latine : non multo antea) viennent immédiatement après une phrase où il est parlé de l’âge de trente ans qu’avait alors Rodrigue ; cette phrase fait partie du récit d’une querelle que faisait au roi Fernand l’empereur Henri II. Dans les romances, il y a un assez long intervalle entre le duel et le mariage. Il paraît même que Chimène était encore une enfant lors du duel et ne fit sa démarche auprès du Roi qu’après un certain nombre d’années.
    ** Publiée pour la première fois en 1601, à Tolède, chez Pedro Rodriguez, 2 vol. in-folio.

  1. Corneille a-t-il ici en vue les deux chroniques dont parle M. Damas-Hinard (Romancero, tome II, p. 52), ou bien les deux ouvrages connus sous les noms de Chronique rimée et de Poëme ou Chanson du Cid, dont il est question au chapitre i, p. 3, des Documents relatifs à l’histoire du Cid, publiés par M. Hippolyte Lucas ?