Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/150

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À MONSIEUR
CORNEILLE,
SUR SA COMÉDIE
LE MENTEUR[1].

Eh bien ! ce beau Menteur, cette pièce fameuse,
Qui étonne le Rhin et fait rougir la Meuse,
Et le Tage et le Pô, et le Tibre romain,
De n’avoir rien produit d’égal à cette main,
À ce Plaute rené, à ce nouveau Térence,
La trouve-t-on si loin ou de l’indifférence
Ou du juste mépris des savants d’aujourd’hui ?
Je tiens tout au rebours qu’elle a besoin d’appui,
De grâce, de pitié, de faveur affétée,
D’extrême charité, de louange empruntée.
Elle est plate, elle est fade, elle manque de sel,
De pointe et de vigueur ; et n’y a carrousel
Où la rage et le vin n’enfante des Corneilles
Capables de fournir de plus fortes merveilles.
Qu’ai-je dit ? Ah ! Corneille, aime mon repentir ;
Ton excellent Menteur m’a porté à mentir.
Il m’a rendu le faux si doux et si aimable,
Que sans m’en aviser, j’ai vu le véritable
Ruiné de crédit, et ai cru constamment
N’y avoir plus d’honneur qu’à mentir vaillamment.
Après tout, le moyen de s’en pouvoir dédire ?
À moins que d’en mentir, je n’en pouvois rien dire.
La plus haute pensée au bas de sa valeur
Devenoit injustice et injure à l’auteur.
Qu’importe donc qu’on mente, ou que d’un foible éloge
À toi et ton Menteur faussement on déroge ?
Qu’importe que les Dieux se trouvent irrités
De mensonges ou bien de fausses vérités ?

Constanter.

  1. Cette pièce se lit, comme la précédente, en tête des éditions elzéviriennes de 1645 et de 1647, qui, au vers 8, donnent l’une et l’autre : J’ose dire, au lieu de : Je tiens tout.