Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/294

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est beaucoup meilleure que l’autre, à cause que Dorante y paroît beaucoup plus honnête homme, et donne des exemples de vertu à suivre ; au lieu qu’en l’autre, il ne donne que des imperfections à éviter ; mais pour moi, qui tiens avec Aristote et Horace[1] que notre art n’a pour but que le divertissement, j’avoue qu’il est ici bien moins à estimer qu’en la première comédie, puisque, avec ses mauvaises habitudes, il a perdu presque toutes ses grâces, et qu’il semble avoir quitté la meilleure part de ses agréments lorsqu’il a voulu se corriger de ses défauts[2]. Vous me direz que je suis bien injurieux au métier qui me fait connoître, d’en ravaler le but si bas que de le réduire à plaire au peuple, et que je suis bien hardi tout ensemble de prendre pour garant[3] de mon opinion les deux maîtres dont ceux du parti contraire se fortifient. À cela, je vous dirai que ceux-là même qui mettent si haut le but de l’art sont injurieux à l’artisan, dont ils ravalent d’autant plus le mérite, qu’ils pensent relever la dignité de sa profession, parce que, s’il est obligé de prendre soin de l’utile, il évite seulement une faute quand il s’en acquitte, et n’est digne d’aucune louange. C’est mon Horace qui me l’apprend :

Non laudem meruiVilavi denique culpam,
Non laudem merui
[4].

  1. Voyez la Poétique d’Aristote, chapitre iv, et l’Art poétique d’Horace, vers 333 et suivants.
  2. Corneille a dit ailleurs : « Il est hors de doute que c’est une habitude vicieuse que de mentir ; mais il débite ses menteries avec une telle présence d’esprit et tant de vivacité, que cette imperfection a bonne grâce en sa personne, et fait confesser aux spectateurs que le talent de mentir ainsi est un vice dont les sots ne sont point capables. » (Discours du poëme dramatique, tome I, p. 32.)
  3. Il y a garant (garand), au singulier, dans toutes les éditions (1644-1656).
  4. Ce sont les vers 267 et 268 de l’Art poétique, mais ils ne s’appliquent pas à ce que dit ici Corneille.