Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/304

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Ta rencontre me plaît, j’en aime la surprise :
Ce devoir, quoique tard, enfin s’est éveillé[1].

CLITON.

10Et qui savoit, Monsieur, où vous étiez allé ?
Vous ne nous témoigniez qu’ardeur et qu’allégresse,
Qu’impatients désirs de posséder Lucrèce ;
L’argent étoit touché, les accords publiés,
Le festin commandé, les parents conviés,
15Les violons choisis, ainsi que la journée[2] :
Rien ne sembloit plus sûr qu’un si proche hyménée ;
Et parmi ces apprêts, la nuit d’auparavant,
Vous sûtes faire gille[3], et fendîtes le vent.
Comme il ne fut jamais d’éclipse plus obscure,
20Chacun sur ce départ forma sa conjecture :
Tous s’entre-regardoient, étonnés, ébahis ;
L’un disoit : « Il est jeune, il veut voir le pays ; »
L’autre : « Il s’est allé battre, il a quelque querelle ; »
L’autre d’une autre idée embrouilloit sa cervelle ;
25Et tel vous soupçonnoit de quelque guérison
D’un mal privilégié dont je tairai le nom.
Pour moi, j’écoutois tout, et mis dans mon caprice
Qu’on ne devinoit rien que par votre artifice.
Ainsi ce qui chez eux prenoit plus de crédit
30M’étoit aussi suspect que si vous l’eussiez dit ;
Et tout simple et doucet, sans chercher de finesse[4],
Attendant le boiteux[5], je consolois Lucrèce.

DORANTE.

Je l’aimois, je te jure ; et pour la posséder,

  1. Var. Ton devoir, quoique tard, enfin s’est éveillé. (1645-56)
  2. Var. Tout cet attirail prêt qu’on fait pour l’hyménée,
    [Les violons choisis, ainsi que la journée :]
    Qui se fût défié que la nuit de devant
    Votre propre grandeur dût fendre ainsi le vent ? (1645-56)
  3. Faire gille, se sauver, s’enfuir. Voyez le Lexique.
  4. Var. Et tout simple et doucet, sans y chercher finesse. (1645-64)
  5. Attendant le temps, l’occasion. Voyez le Lexique.