Mon amour mille fois voulut tout hasarder ;
Mais quand j’eus bien pensé que j’allois à mon âge[1]
Au sortir de Poitiers entrer au mariage,
Que j’eus considéré ses chaînes de plus près,
Son visage à ce prix n’eut plus pour moi d’attraits :
L’horreur d’un tel lien m’en fit de la maîtresse ;
Je crus qu’il falloit mieux employer ma jeunesse,
Et que quelques appas qui pussent me ravir[2],
C’étoit mal en user que sitôt m’asservir.
Je combats toutefois ; mais le temps qui s’avance
Me fait précipiter en cette extravagance ;
Et la tentation de tant d’argent touché
M’achève de pousser où j’étois trop penché.
Que l’argent est commode à faire une folie !
L’argent me fait résoudre à courir l’Italie.
Je pars de nuit en poste, et d’un soin diligent
Je quitte la maîtresse, et j’emporte l’argent.
Mais, dis-moi, que fit-elle, et que dit lors son père ?
Le mien, ou je me trompe, étoit fort en colère ?
D’abord de part et d’autre on vous attend sans bruit ;
Un jour se passe, deux, trois, quatre, cinq, six, huit ;
Enfin, n’espérant plus, on éclate, on foudroie.
Lucrèce par dépit témoigne de la joie,
Chante, danse, discourt, rit ; mais, sur mon honneur !
Elle enrageait, Monsieur, dans l’âme, et de bon cœur.
Ce grand bruit s’accommode, et pour plâtrer l’affaire,
La pauvre délaissée épouse votre père,
Et rongeant dans son cœur son déplaisir secret,
D’un visage content prend le change à regret.
L’éclat d’un tel affront l’ayant trop décriée,