Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/307

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DORANTE.

90Suis-je fait en voleur ou bien en assassin ?
Traître, en ai-je l’habit, ou la mine, ou la taille ?

CLITON.

Connoît-on à l’habit aujourd’hui la canaille,
Et n’est-il point, Monsieur, à Paris de filous
Et de taille et de mine aussi bonnes que vous ?

DORANTE.

95Tu dis vrai, mais écoute. Après une querelle
Qu’à Florence un jaloux me fit pour quelque belle,
J’eus avis que ma vie y couroit du danger :
Ainsi donc sans trompette il fallut déloger.
Je pars seul et de nuit, et prends ma route en France,
100Où, sitôt que je suis en pays d’assurance,
Comme d’avoir couru je me sens un peu las,
J’abandonne la poste, et viens au petit pas.
Approchant de Lyon, je vois dans la campagne…

CLITON.

N’aurons-nous point ici de guerres d’Allemagne[1] ?

DORANTE.

105Que dis-tu ?

CLITON.

Que dis-tu ?Rien, Monsieur, je gronde entre mes dents
Du malheur qui suivra ces rares incidents ;
J’en ai l’âme déjà toute préoccupée.

DORANTE.

Donc à deux cavaliers je vois tirer l’épée ;
Et pour en empêcher l’événement fatal,
110J’y cours la mienne au poing, et descends de cheval.
L’un et l’autre, voyant à quoi je me prépare,
Se hâte d’achever avant qu’on les sépare,
Presse sans perdre temps, si bien qu’à mon abord

  1. Var. N’aurons-nous point ici des guerres d’Allemagne ? (1645-56)