Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/372

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MÉLISSE.

1300C’est encore votre ordre, ou je m’y connois mal[1].
Ne m’avez-vous pas dit : « Prends souci de me plaire,
Et vois ce que tu dois à qui te sauve un frère ? »
Puisque vous lui devez et la vie et l’honneur,
Pour vous en revancher dois-je moins que mon cœur ?
1305Et doutez-vous encore à quel point je vous aime,
Quand pour vous acquitter je me donne moi-même ?

CLÉANDRE.

Certes, pour m’obéir avec plus de chaleur,
Vous donnez à mon ordre une étrange couleur,
Et prenez un grand soin de bien payer mes dettes :
1310Non que mes volontés en soient mal satisfaites ;
Loin d’éteindre ce feu, je voudrois l’allumer,
Qu’il eût de quoi vous plaire, et voulût vous aimer.
Je tiendrois à bonheur de l’avoir pour beau-frère :
J’en cherche les moyens, j’y fais ce qu’on peut faire ;
1315Et c’est à ce dessein qu’au sortir de prison
Je viens de l’obliger à prendre la maison[2],
Afin que l’entretien produise quelques flammes
Qui forment doucement l’union de vos âmes.
Mais vous savez trouver des chemins plus aisés :
1320Sans savoir s’il vous plaît, ni si vous lui plaisez,
Vous pensez l’engager en lui donnant ces gages[3],
Et lui donnez sur vous de trop grands avantages.
Que sera-ce, ma sœur, si quand vous le verrez,
Vous n’y rencontrez pas ce que vous espérez,
1325Si quelque aversion vous prend pour son visage,
Si le vôtre le choque ou qu’un autre l’engage,
Et que de ce portrait donné légèrement,
Il érige un trophée à quelque objet charmant ?

  1. Var. C’est encore votre ordre, ou je le conçois mal. (1645-56)
  2. Var. Je le viens d’obliger à prendre la maison. (1645-56)
  3. Var. Vous pensez l’engager avecque de tels gages. (1645-56)