Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/38

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miers hommes du monde, César et Antoine ; et qu’après la déroute de ce dernier, elle n’épargna aucun artifice pour engager Auguste dans la même passion qu’ils avoient eue pour elle, et fit voir par là qu’elle ne s’étoit attachée qu’à la haute puissance d’Antoine, et non pas à sa personne.

Pour le style, il est plus élevé en ce poëme qu’en aucun des miens, et ce sont, sans contredit, les vers les plus pompeux que j’aye faits. La gloire n’en est pas toute à moi : j’ai traduit de Lucain tout ce que j’y ai trouvé de propre à mon sujet ; et comme je n’ai point fait de scrupule d’enrichir notre langue du pillage que j’ai pu faire chez lui, j’ai tâché, pour le reste, à entrer si bien dans sa manière de former ses pensées et de s’expliquer, que ce qu’il m’a fallu y joindre du mien sentît son génie, et ne fût pas indigne d’être pris pour un larcin que je lui eusse fait[1]. J’ai parlé, en l’examen de Polyeucte[2], de ce que je trouve à dire en la confidence que fait Cléopatre à Charmion au second acte[3] ; il ne me reste qu’un mot touchant les narrations d’Achorée, qui ont toujours passé pour fort belles[4] : en quoi je ne veux pas aller contre le jugement du public, mais seulement faire remarquer de nouveau[5] que celui qui les fait et les personnes qui les écoutent ont l’esprit assez tranquille pour avoir toute la patience qu’il y faut donner. Celle du troisième acte, qui est à mon gré la plus magnifique, a été accusée de n’être pas reçue par une personne digne de la recevoir ; mais bien que Charmion qui l’écoute ne soit qu’une domestique de Cléopatre, qu’on peut toutefois prendre

  1. Voyez l’Examen de Médée, tome II, p. 338 et 339.
  2. Voyez tome III, p. 483 et 484.
  3. Voyez acte II, scène i.
  4. Voyez acte II, scène ii, et acte III, scène i.
  5. Voyez l’Examen de Médée, tome II, p. 336 et 337.