Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/425

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À MONSEIGNEUR
MONSEIGNEUR LE PRINCE[1].

Monseigneur,

Rodogune se présente à Votre Altesse avec quelque sorte de confiance, et ne peut croire qu’après avoir fait sa bonne fortune, vous dédaigniez de la prendre en votre protection. Elle a trop de connoissance de votre bonté pour craindre que vous veuillez laisser votre ouvrage imparfait, et lui dénier la continuation des grâces dont vous lui avez été si prodigue. C’est à votre illustre suffrage qu’elle est obligée de tout ce qu’elle a reçu d’applaudissement ; et les favorables regards dont il vous plut fortifier la foiblesse de sa naissance lui donnèrent tant d’éclat et de vigueur, qu’il sembloit que vous eussiez pris plaisir à répandre sur elle un rayon de cette gloire qui vous environne, et à lui faire part de cette facilité de vaincre qui vous suit partout. Après cela, Monseigneur, quels hommages peut-elle rendre à votre Altesse qui ne soient au-dessous de ce qu’elle lui doit ? Si elle tâche à lui témoigner quelque reconnoissance par l’admiration de ses vertus, où trouvera-t-elle des éloges dignes de cette main qui fait trembler tous nos ennemis, et dont les coups d’essai furent signalés par la défaite des premiers capitaines de l’Europe ? Votre Altesse sut vaincre avant qu’ils se pussent imaginer qu’elle sût combattre, et ce grand courage, qui n’avoit encore vu la guerre que dans les livres, effaça tout ce qu’il avoit lu des Alexandres

  1. Cette épître, adressée au grand Condé, n’est que dans les éditions antérieures à 1660.