Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/444

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Le donne pour époux à l’objet de sa haine,
Et n’en doit faire un roi qu’afin de couronner
Celle que dans les fers elle aimoit à gêner ?
Rodogune, par elle en esclave traitée,
20Par elle se va voir sur le trône montée,
Puisque celui des deux qu’elle nommera roi
Lui doit donner la main et recevoir sa foi.

TIMAGÈNE.

Pour le mieux admirer, trouvez bon, je vous prie,
Que j’apprenne de vous les troubles de Syrie.
25J’en ai vu les premiers, et me souviens encor
Des malheureux succès du grand roi Nicanor,
Quand, des Parthes vaincus pressant l’adroite fuite[1],
Il tomba dans leurs fers au bout de sa poursuite.
Je n’ai pas oublié que cet événement
30Du perfide Tryphon fit le soulèvement :
Voyant le roi captif, la reine désolée,
Il crut pouvoir saisir la couronne ébranlée ;
Et le sort, favorable à son lâche attentat,
Mit d’abord sous ses lois la moitié de l’État.
35La Reine, craignant tout de ces nouveaux orages[2],
En sut mettre à l’abri ses plus précieux gages ;
Et pour n’exposer pas l’enfance de ses fils,
Me les fit chez son frère[3] enlever à Memphis.
Là, nous n’avons rien su que de la renommée,
40Qui, par un bruit confus diversement semée,

  1. Var. Quand poursuivant le Parthe, et ravageant sa terre,
    Il fut, de son vainqueur, son prisonnier de guerre. (1647-56)
  2. Var. La reine, succombant sous de si prompts orages,
    En voulut à l’abri mettre ses plus chers gages,
    Ses fils encore enfants, qui par un sage avis
    Passèrent en Égypte, où je les ai suivis. (1647-56)
  3. Cléopatre était fille de Ptolémée Philométor. Au temps dont il est ici parlé, ce n’était pas son frère, mais son oncle Ptolémée Évergète II qui régnait en Égypte.