Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/451

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Nous la faisions tous deux la femme d’un sujet !
Régnons : l’ambition ne peut être que belle,
Et pour elle quittée, et reprise pour elle ;
Et ce trône où tous deux nous osions renoncer,
165Souhaitons-le tous deux, afin de l’y placer :
C’est dans notre destin le seul conseil à prendre ;
Nous pouvons nous en plaindre, et nous devons l’attendre.

SÉLEUCUS.

Il faut encor plus faire : il faut qu’en ce grand jour
170Notre amitié triomphe aussi bien que l’amour.
Ces deux sièges fameux de Thèbes et de Troie,
Qui mirent l’une en sang, l’autre aux flammes en proie[1],
N’eurent pour fondements à leurs maux infinis
Que ceux que contre nous le sort a réunis.
175Il sème entre nous deux toute la jalousie
Qui dépeupla la Grèce et saccagea l’Asie :
Un même espoir du sceptre est permis à tous deux[2] ;
Pour la même beauté nous faisons mêmes vœux.
Thèbes périt pour l’un, Troie a brûlé pour l’autre.
180Tout va choir en ma main ou tomber en la vôtre[3].
En vain notre[4] amitié tâchoit à partager ;
Et si j’ose tout dire, un titre assez léger,
Un droit d’aînesse obscur, sur la foi d’une mère,
Va combler l’un de gloire et l’autre de misère.
185Que de sujets de plainte en ce double intérêt
Aura le malheureux contre un si foible arrêt !
Que de sources de haine ! Hélas ! jugez le reste :

  1. Var. Qui mirent l’un en sang, l’autre aux flammes en proie. (1647-56)
  2. Var. Nous avons même droit sur un trône douteux ;
    Pour la même beauté nous soupirons tous deux. (1647-56)
  3. Var. Et tout tombe en ma main, ou tout tombe en la vôtre.
    En vain notre amitié les vouloit partager. (1647-56)
  4. Les éditions de 1682 et de 1692 sont les seules qui, au lieu de votre, donnent ici notre, leçon adoptée par Voltaire ; l’impression de 1682 porte votre au vers 161, où c’est une faute encore plus évidente.