Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/46

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Je voie et la fortune et la valeur trompée,
Je regarde son sang comme un sang précieux,
120Qu’au milieu de Pharsale ont respecté les Dieux.
Non qu’en un coup d’État je n’approuve le crime ;
Mais s’il n’est nécessaire, il n’est point légitime :
Et quel besoin ici d’une extrême rigueur ?
Qui n’est point au vaincu ne craint point le vainqueur.
125Neutre jusqu’à présent, vous pouvez l’être encore :
Vous pouvez adorer César, si l’on l’adore ;
Mais quoique vos encens le traitent d’immortel,
Cette grande victime est trop pour son autel ;
Et sa tête immolée au Dieu de la victoire
130Imprime à votre nom une tache trop noire :
Ne le pas secourir suffit sans l’opprimer ;
En usant de la sorte, on ne vous peut blâmer.
Vous lui devez beaucoup : par lui Rome animée
A fait rendre le sceptre au feu roi Ptolomée ;
135Mais la reconnoissance et l’hospitalité
Sur les âmes des rois n’ont qu’un droit limité.
Quoi que doive un monarque, et dût-il sa couronne,
Il doit à ses sujets encore plus qu’à personne,
Et cesse de devoir quand la dette est d’un rang
140À ne point s’acquitter qu’aux dépens de leur sang[1].
S’il est juste d’ailleurs que tout se considère,
Que hasardoit Pompée en servant votre père ?
Il se voulut par là faire voir tout-puissant,
Et vit croître sa gloire en le rétablissant.
145Il le servit enfin, mais ce fut de la langue.
La bourse de César fit plus que sa harangue :
Sans ses mille talents[2], Pompée et ses discours

  1. Var. Qu’il ne peut acquitter qu’aux dépens de leur sang. (1644)
    Var. À ne point l’acquitter qu’aux dépens de leur sang. (1648-56)
  2. La dette contractée envers César par Ptolémée Aulétès, père du Ptolémée qui tua Pompée, est un fait historique. Voyez le chapitre XLVIII de la Vie de