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Scène III.

CLÉOPATRE, ANTIOCHUS, SÉLEUCUS, LAONICE.
CLÉOPATRE.

Mes enfants, prenez place[1]. Enfin voici le jour
Si doux à mes souhaits, si cher à mon amour[2],
Où je puis voir briller sur une de vos têtes
Ce que j’ai conservé parmi tant de tempêtes,
525Et vous remettre un bien, après tant de malheurs,
Qui m’a coûté pour vous tant de soins et pleurs.
Il peut vous souvenir quelles furent mes larmes[3]
Quand Tryphon me donna de si rudes alarmes,
Que pour ne vous pas voir exposés à ses coups[4],
530Il fallut me résoudre à me priver de vous.
Quelle peines depuis, grands Dieux, n’ai-je souffertes !
Chaque jour redoubla mes douleurs et mes pertes.
Je vis votre royaume entre ces murs réduit ;
Je crus mort votre père ; et sur un si faux bruit
535Le peuple mutiné voulut avoir un maître.
J’eus beau le nommer lâche, ingrat, parjure, traître,
Il fallut satisfaire à son brutal desir,
Et de peur qu’il en prît, il m’en fallut choisir[5].
Pour vous sauver l’État que n’eussé-je pu faire ?
540Je choisis un époux avec des yeux de mère,
Votre oncle Antiochus ; et j’espérai qu’en lui
Votre trône tombant trouveroit un appui ;

  1. « Il semble que Racine ait pris en quelque chose ce discours pour modèle du grand discours d’Agrippine à Néron, dans Britannicus (acte IV,
    scène ii). » (Voltaire.)
  2. Var. Si cher à mes souhaits, si doux à mon amour, (1647-56)
  3. Var. Il vous souvient peut-être encore de mes larmes. (1647-56)
  4. Var. Que pour ne vous voir pas exposés à ses coups. (1647-60)
  5. Var. Et de peur qu’il n’en prît, il m’en fallut choisir. (1647-56)