Sentiments étouffés de colère et de haine[1],
Rallumez vos flambeaux à celles de la Reine,
Et d’un oubli contraint rompez la dure loi[2],
Pour rendre enfin justice aux mânes d’un grand roi ;
Rapportez à mes yeux son image sanglante,
D’amour et de fureur encore étincelante[3],
Telle que je le vis, quand tout percé de coups
Il me cria : « Vengeance ! Adieu : je meurs pour vous ! »
Chère ombre, hélas ! bien loin de l’avoir poursuivie,
J’allois baiser la main qui t’arracha la vie,
Rendre un respect de fille à qui versa ton sang ;
Mais pardonne aux devoirs que m’impose mon rang :
Plus la haute naissance approche des couronnes,
Plus cette grandeur même asservi nos personnes ;
Nous n’avons point de cœur pour aimer ni haïr :
Toutes nos passions ne savent qu’obéir.
Après avoir armé pour venger cet outrage,
D’une paix mal conçue on m’a faite le gage ;
Et moi, fermant les yeux sur ce noir attentat,
Je suivois mon destin en victime d’État.
Mais aujourd’hui qu’on voit cette main parricide[4],
Des restes de ta vie insolemment avide,
Vouloir encor percer ce sein infortuné,
Pour y chercher le cœur que tu m’avois donné,
De la paix qu’elle rompt je ne suis plus le gage :
Je brise avec honneur mon illustre esclavage ;
J’ose reprendre un cœur pour aimer et haïr,
Et ce n’est plus qu’à toi que je veux obéir.
Le consentiras-tu, cet effort sur ma flamme,
Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/479
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