Mais que je tâche en vain de flatter nos tourments !
Nos malheurs sont plus forts que ces déguisements.
Leur excès à mes yeux paroît un noir abîme
Où la haine s’apprête à couronner le crime,
Où la gloire est sans nom, la vertu sans honneur,
Où sans un parricide il n’est point de bonheur,
Et voyant de ces maux l’épouvantable image,
Je me sens affoiblir quand je vous encourage :
Je frémis, je chancelle, et mon cœur abattu
Suit tantôt sa douleur et tantôt sa vertu.
Mon frère, pardonnez à des discours sans suite,
Qui font trop voir le trouble où mon âme est réduite[1].
J’en ferois comme vous, si mon esprit troublé
Ne secouoit le joug dont il est accablé.
Dans mon ambition, dans l’ardeur de ma flamme,
Je vois ce qu’est un trône, et ce qu’est une femme ;
Et jugeant par leur prix de leur possession,
J’éteins enfin ma flamme et mon ambition ;
Et je vous céderois l’un et l’autre avec joie,
Si dans la liberté que le ciel me renvoie,
La crainte de vous faire un funeste présent
Ne me jetoit dans l’âme un remords trop cuisant.
Dérobons-nous, mon frère, à ces âmes cruelles,
Et laissons-les sans nous achever leurs querelles.
Comme j’aime beaucoup, j’espère encore un peu :
L’espoir ne peut s’éteindre où brûle tant de feu ;
Et son reste confus me rend quelques lumières
Pour juger mieux que vous de ces âmes si fières.
Croyez-moi, l’une et l’autre a redouté nos pleurs :
Leur fuite à nos soupirs a dérobé leurs cœurs ;
- ↑ Var. Et jugez par ce trouble où mon âme est réduite. (1647-56)