Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/516

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1700Tirez-moi de ce trouble, ou souffrez que je meure,
Et que mon déplaisir, par un coup généreux,
Épargne un parricide à l’une de vous deux.

CLÉOPATRE.

Puisque le même jour que ma main vous couronne,
Je perds un de mes fils, et l’autre me soupçonne ;
1705Qu’au milieu de mes pleurs, qu’il devroit essuyer,
Son peu d’amour me force à me justifier ;
Si vous n’en pouvez mieux consoler une mère
Qu’en la traitant d’égale avec une étrangère,
Je vous dirai, Seigneur (car ce n’est plus à moi
1710À nommer autrement et mon juge et mon roi),
Que vous voyez l’effet de cette vieille haine
Qu’en dépit de la paix me garde l’inhumaine,
Qu’en son cœur du passé soutient le souvenir,
Et que j’avois raison de vouloir prévenir.
1715Elle a soif de mon sang, elle a voulu l’épandre :
J’ai prévu d’assez loin ce que j’en viens d’apprendre ;
Mais je vous ai laissé désarmer mon courroux.

(À Rodogune.)

Sur la foi de ses pleurs je n’ai rien craint de vous,
Madame ; mais, ô Dieux ! quelle rage est la vôtre !
1720Quand je vous donne un fils, vous assassinez l’autre,
Et m’enviez soudain l’unique et foible appui
Qu’une mère opprimée eût pu trouver en lui !
Quand vous m’accablerez, où sera mon refuge ?
Si je m’en plains au Roi, vous possédez mon juge ;
1725Et s’il m’ose écouter, peut-être, hélas ! en vain
Il voudra se garder de cette même main.
Enfin je suis leur mère, et vous leur ennemie ;
J’ai recherché leur gloire, et vous leur infamie ;
Et si je n’eusse aimé ces fils que vous m’ôtez,
1730Votre abord en ces lieux les eût déshérités.
C’est à lui maintenant, en cette concurrence,