Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 4.djvu/69

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Et ne permettons pas qu’après tant de bravades,
Mon sceptre soit le prix d’une de ses œillades.

PHOTIN.

Seigneur, ne donnez point de prétexte à César[1]
Pour attacher l’Égypte aux pompes de son char.
665Ce cœur ambitieux, qui par toute la terre
Ne cherche qu’à porter l’esclavage et la guerre,
Enflé de sa victoire, et des ressentiments
Qu’une perte pareille imprime aux vrais amants,
Quoique vous ne rendiez que justice à vous-même,
670Prendroit l’occasion de venger ce qu’il aime ;
Et pour s’assujettir et vos États et vous,
Imputeroit à crime un si juste courroux.

PTOLOMÉE.

Si Cléopatre vit, s’il la voit, elle est reine.

PHOTIN.

Si Cléopatre meurt, votre perte est certaine.

PTOLOMÉE.

675Je perdrai qui me perd, ne pouvant me sauver.

PHOTIN.

Pour la perdre avec joie, il faut vous conserver.

PTOLOMÉE.

Quoi ? pour voir sur sa tête éclater ma couronne ?
Sceptre, s’il faut enfin que ma main t’abandonne,
Passe, passe plutôt en celle du vainqueur.

PHOTIN.

680Vous l’arracherez mieux de celle d’une sœur.
Quelques feux que d’abord il lui fasse paroître,
Il partira bientôt, et vous serez le maître.
L’amour à ses pareils ne donne point d’ardeur
Qui ne cède aisément aux soins de leur grandeur.
685Il voit encor l’Afrique et l’Espagne occupées

  1. Var. Sire, ne donnez point de prétexte à César. (1644-63)