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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/161

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peut-être on voudra prendre cette proposition pour un paradoxe, je ne craindrai point d’avancer que le sujet d’une belle tragédie doit n’être pas vraisemblable. La preuve en est aisée par le même Aristote, qui ne veut pas qu’on en compose une d’un ennemi qui tue son ennemi, parce que, bien que cela soit fort vraisemblable, il n’excite dans l’âme des spectateurs ni pitié ni crainte, qui sont les deux passions de la tragédie : mais il nous renvoie la choisir dans les événements extraordinaires qui se passent entre personnes proches comme d’un père qui tue son fils, une femme son mari, un frère sa sœur, ce qui, n’étant jamais vraisemblable, doit avoir l’autorité de l’histoire ou de l’opinion commune pour être cru, si bien qu’il n’est pas permis d’inventer un sujet de cette nature. C’est la raison qu’il donne de ce que les anciens traitaient presque mêmes sujets, d’autant qu’ils rencontraient peu de familles où fussent arrivés de pareils désordres, qui font les belles et puissantes oppositions du devoir et de la passion.

Ce n’est pas ici le lieu de m’étendre plus au long sur cette matière ; j’en ai dit ces deux mots en passant, par une nécessité de me défendre d’une objection qui détruirait tout mon ouvrage puisqu’elle va en saper le fondement, et non par ambition d’étaler mes maximes, qui peut-être ne sont pas généralement avouées des savants. Aussi ne donné-je ici mes opinions qu’à la mode de M. de Montaigne, non pour bonnes, mais pour miennes.