Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/205

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«Le tyran veut surprendre ou forcer vos désirs,
Ma fille, et sa fureur à son fils vous destine,
Mais prenez un époux des mains de Léontine ;
Elle garde un trésor qui vous sera bien cher. »
Cet ordre en sa faveur me sut si bien toucher
Qu’au lieu de la haïr d’avoir livré mon frère,
J’en tins le bruit pour faux, elle me devint chère,
Et confondant ces mots de trésor et d’époux,
Je crus les bien entendre, expliquant tout de vous.
J’opposais de la sorte à ma fière naissance
Les favorables lois de mon obéissance,
Et je m’imputais même à trop de vanité
De trouver entre nous quelque inégalité.
La race de Léonce étant patricienne,
L’éclat de vos vertus l’égalait à la mienne,
Et je me laissais dire en mes douces erreurs :
« C’est de pareils héros qu’on fait les empereurs ;
Tu peux bien sans rougir aimer un grand courage
À qui le monde entier peut rendre un juste hommage. »
J’écoutais sans dédain ce qui m’autorisait :
L’amour pensait le dire, et le sang le disait,
Et de ma passion la flatteuse imposture
S’emparait dans mon cœur des droits de la nature.

Martian

Ah ! Ma sœur, puisque enfin mon destin éclairci
Veut que je m’accoutume à vous nommer ainsi,
Qu’aisément l’amitié jusqu’à l’amour nous mène !
C’est un penchant si doux qu’on y tombe sans peine,
Mais quand il faut changer l’amour en amitié,
Que l’âme qui s’y force est digne de pitié,
Et qu’on doit plaindre un cœur qui, n’osant s’en défendre,
Se laisse déchirer avant que de se rendre !