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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 5.djvu/240

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Dans cette grandeur d’âme un vrai prince affermi
Est sensible aux malheurs même d’un ennemi ;
La haine qu’il lui doit ne saurait le défendre,
Quand il s’en voit aimé, de s’en laisser surprendre,
Et trouve assez souvent son devoir arrêté
Par l’effort naturel de sa propre bonté.
Cette digne vertu de l’âme la mieux née,
Madame, ne doit pas souiller ma destinée.
Je doute ; et si ce doute a quelque crime en soi,
C’est assez m’en punir que douter comme moi,
Et mon cœur, qui sans cesse en sa faveur se flatte,
Cherche qui le soutienne, et non pas qui l’abatte ;
Il demande secours pour mes sens étonnés,
Et non le coup mortel dont vous m’assassinez.

Pulchérie

L’œil le mieux éclairé sur de telles manières
Peut prendre de faux jours pour de vives lumières,
Et comme notre sexe ose assez promptement
Suivre l’impression d’un premier mouvement,
Peut-être qu’en faveur de ma première idée
Ma haine pour Phocas m’a trop persuadée.
Son amour est pour vous un poison dangereux,
Et quoique la pitié montre un cœur généreux,
Celle qu’on a pour lui de ce rang dégénère.
Vous le devez haïr, et fût-il votre père,
Si ce titre est douteux, son crime ne l’est pas.
Qu’il vous offre sa grâce, ou vous livre au trépas,
Il n’est pas moins tyran quand il vous favorise,
Puisque c’est ce cœur même alors qu’il tyrannise,
Et que votre devoir, par là mieux combattu,
Prince, met en péril jusqu’à votre vertu.