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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/136

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ŒDIPE.

L’excusable fierté d’un peu de vrai mérite,
15Par un juste dégoût ou par ressentiment,
Lui pouvoit de tes vers envier l’agrément ;
Mais aujourd’hui qu’on voit un héros magnanime
Témoigner pour ton nom une toute autre estime,
Et répandre l’éclat de sa propre bonté
20Sur l’endurcissement de ton oisiveté,
Il te seroit honteux d’affermir ton silence
Contre une si pressante et douce violence ;
Et tu ferois un crime à lui dissimuler
Que ce qu’il fait pour toi te condamne à parler.
25  Oui, généreux appui de tout notre Parnasse,
Tu me rends ma vigueur lorsque tu me fais grâce ;
Et je veux bien apprendre à tout notre avenir
Que tes regards bénins ont su me rajeunir.
Je m’élève sans crainte avec de si bons guides :
30Depuis que je t’ai vu, je ne vois plus mes rides ;
Et plein d’une plus claire et noble vision,
Je prends mes cheveux gris pour cette illusion.
Je sens le même feu, je sens la même audace,
Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace ;
35Et je me trouve encor la main qui crayonna
L’âme du grand Pompée et l’esprit de Cinna.
Choisis-moi seulement quelque nom dans l’histoire
Pour qui tu veuilles place au temple de la Gloire,
Quelque nom favori qu’il te plaise arracher
40À la nuit de la tombe, aux cendres du bûcher.
Soit qu’il faille ternir ceux d’Énée et d’Achille
Par un noble attentat sur Homère et Virgile,
Soit qu’il faille obscurcir par un dernier effort
Ceux que j’ai sur la scène affranchis de la mort :
45Tu me verras le même, et je te ferai dire,
Si jamais pleinement ta grande âme m’inspire.
Que dix lustres et plus n’ont pas tout emporté