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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/162

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320Aux miens, comme à l’état, je dois quelque souci.
Je sépare Dircé de la cause publique ;
Je vois qu’ainsi que vous elle a sa politique :
Comme vous agissez en monarque prudent,
Elle agit de sa part en cœur indépendant,
325En amante à bon titre, en princesse avisée,
Qui mérite ce trône où l’appelle Thésée.
Je ne puis vous flatter, et croirois vous trahir,
Si je vous promettois qu’elle pût obéir.

Œdipe.

Pourrait-on mieux défendre un esprit si rebelle ?

Jocaste.

330Parlons-en comme il faut : nous nous aimons plus qu’elle ;
Et c’est trop nous aimer que voir d’un œil jaloux
Qu’elle nous rend le change, et s’aime plus que nous.
Un peu trop de lumière à nos désirs s’oppose.
Peut-être avec le temps nous pourrions quelque chose ;
335Mais n’espérons jamais qu’on change en moins d’un jour,
Quand la raison soutient le parti de l’amour.

Œdipe.

Souscrivons donc, madame, à tout ce qu’elle ordonne :
Couronnons cet amour de ma propre couronne ;
Cédons de bonne grâce, et d’un esprit content[1]
340Remettons à Dircé tout ce qu’elle prétend.
À mon ambition Corinthe peut suffire,
Et pour les plus grands cœurs c’est assez d’un empire.
Mais vous souvenez-vous que vous avez deux fils[2]
Que le courroux du ciel a fait naître ennemis,
345Et qu’il vous en faut craindre un exemple barbare,
À moins que pour régner leur destin les sépare ?

  1. Var. Cédons de bonne grâce, et n’embrassons plus tant ;
    Mon trône héréditaire à Corinthe m’attend ;
    À mon ambition ce trône peut suffire. {1659)
  2. Étéocle et Polynice : voyez ci-apres, vers 575, p. 159.