Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
183
ACTE III, SCÈNE V.

J’en vois quelque partie en ce désir inceste ;
1130Mais pour ne plus douter, vous chargez-vous du reste ?
Êtes-vous l’assassin et d’un père et d’un roi ?

Thésée.

Ah ! Madame, ce mot me fait pâlir d’effroi.

Jocaste.

C’était là de mon fils la noire destinée ;
Sa vie à ces forfaits par le ciel condamnée
1135N’a pu se dégager de cet astre ennemi,
Ni de son ascendant s’échapper à demi.
Si ce fils vit encore, il a tué son père :
C’en est l’indubitable et le seul caractère ;
Et le ciel, qui prit soin de nous en avertir,
1140L’a dit trop hautement pour se voir démentir.
Sa mort seule pouvoit le dérober au crime.
Prince, renoncez donc à toute votre estime :
Dites que vos vertus sont crimes déguisés ;
Recevez tout le sort que vous vous imposez ;
1145Et pour remplir un nom dont vous êtes avide,
Acceptez ceux d’inceste et de fils parricide.
J’en croirai ces témoins que le ciel m’a prescrits,
Et ne vous puis donner mon aveu qu’à ce prix.

Thésée.

Quoi ? La nécessité des vertus et des vices[1]
1150D’un astre impérieux doit suivre les caprices,
Et Delphes, malgré nous, conduit nos actions[2]
Au plus bizarre effet de ses prédictions ?
L’âme est donc toute esclave : une loi souveraine

  1. « Ce morceau contribuera beaucoup au succès de la pièce. Les disputes sur le libre arbitre agitaient alors les esprits. Cette tirade de Thésée, belle par elle-même, acquit un nouveau prix par les querelles du temps, et plus d’un amateur la sait encore par cœur. » (Voltaire.)
  2. Var. Et l’homme sur soi-même a si peu de crédit,
    Qu’il devient scélérat quand Delphes l’a prédit ? (1659-63)