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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/196

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ŒDIPE

Avec votre mourant Tirésie est d’accord,
1100À ce que dit le Roi, que mon fils n’est point mort.
C’est déjà quelque chose ; et toutefois mon âme
Aime à tenir suspecte une si belle flamme.
Je ne sens point pour vous l’émotion du sang,
Je vous trouve en mon cœur toujours en même rang[1] ;
1105J’ai peine à voir un fils où j’ai cru voir un gendre ;
La nature avec vous refuse de s’entendre,
Et me dit en secret, sur votre emportement,
Qu’il a bien peu d’un frère, et beaucoup d’un amant ;
Qu’un frère a pour des sœurs une ardeur plus remise,
1110À moins que sous ce titre un amant se déguise,
Et qu’il cherche en mourant la gloire et la douceur
D’arracher à la mort ce qu’il nomme sa sœur.

Thésée.

Que vous connoissez mal ce que peut la nature !
Quand d’un parfait amour elle a pris la teinture,
1115Et que le désespoir d’un illustre projet
Se joint aux déplaisirs d’en voir périr l’objet,
Il est doux de mourir pour une sœur si chère.
Je l’aimois en amant, je l’aime encore en frère ;
C’est sous un autre nom le même empressement :
1120Je ne l’aime pas moins, mais je l’aime autrement.
L’ardeur sur la vertu fortement établie
Par ces retours du sang ne peut être affoiblie ;
Et ce sang qui prêtait sa tendresse à l’amour
A droit d’en emprunter les forces à son tour.

Jocaste.

1125Eh bien ! Soyez mon fils, puisque vous voulez l’être ;
Mais donnez-moi la marque où je le dois connoître.
Vous n’êtes point ce fils, si vous n’êtes méchant :
Le ciel sur sa naissance imprima ce penchant ;

  1. Var. Je vous trouve en mon cœur toujours au même rang. {1659)