Cet arrêt qu’à nos yeux lui-même il se prononce
Est suivi d’un poignard qu’en ses flancs il enfonce[1].
La Reine, à ce malheur si peu prémédité,
Semble le recevoir avec stupidité.
L’excès de sa douleur la fait croire insensible ;
Rien n’échappe au dehors qui la rende visible ;
Et tous ses sentiments, enfermés dans son cœur,
Ramassent en secret leur dernière vigueur.
Nous autres cependant, autour d’elle rangées,
Stupides ainsi qu’elle, ainsi qu’elle affligées,
Nous n’osons rien permettre à nos fiers déplaisirs,
Et nos pleurs par respect attendent ses soupirs.
Mais enfin tout à coup, sans changer de visage,
Du mort qu’elle contemple elle imite la rage,
Se saisit du poignard, et de sa propre main
À nos yeux comme lui s’en traverse le sein[2].
On diroit que du ciel l’implacable colère
Nous arrête les bras pour lui laisser tout faire.
Elle tombe, elle expire avec ces derniers mots :
« Allez dire à Dircé qu’elle vive en repos,
Que de ces lieux maudits en hâte elle s’exile ;
Athènes a pour elle un glorieux asile,
Si toutefois Thésée est assez généreux
Pour n’avoir point d’horreur d’un sang si malheureux. »
Ah ! Ce doute m’outrage ; et si jamais vos charmes…
Seigneur, il n’est saison que de verser des larmes.
- ↑ Voltaire s’est rappelee ces vers ; il a dit dans le Xe chant de la Henriade :
Ce discours insensé que sa rage prononce
Est suivi d’un poignard qu’en son cœur elle enfonce. - ↑ Voyez l’Oedipe de Sénèque, acte V, vers 1040 et 1041. Dans la tragédie de Sophocle le genre de mort est différent : Jocaste s’étrangle de sa propre main : voyez vers 1252 et suivants.