Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/269

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Si constante à me suivre, et si ferme en ce choix,
Ne vous offensez pas si j’arrose de larmes 5
Cette illustre union qu’ont avec vous mes armes,
Et si vos faveurs même obstinent mes soupirs
À pousser vers la Paix mes plus ardents désirs.
Vous faites qu’on m’estime aux deux bouts de la terre,
Vous faites qu’on m’y craint ; mais il vous faut la guerre ;10
Et quand je vois quel prix me coûtent vos lauriers,
J’en vois avec chagrin couronner mes guerriers.

La Victoire.

Je ne me repens point, incomparable France,
De vous avoir suivie avec tant de constance :
Je vous prépare encor mêmes attachements ; 15
Mais j’attendois de vous d’autres remercîments.
Vous lassez-vous de moi qui vous comble de gloire,
De moi qui de vos fils assure la mémoire,
Qui fais marcher partout l’effroi devant leurs pas ?

La France.

Ah ! Victoire, pour fils n’ai-je que des soldats ? 20
La gloire qui les couvre, à moi-même funeste,
Sous mes plus beaux succès fait trembler tout le reste ;
Ils ne vont aux combats que pour me protéger,
Et n’en sortent vainqueurs que pour me ravager.
S’ils renversent des murs, s’ils gagnent des batailles, 25
Ils prennent droit par là de ronger mes entrailles :
Leur retour me punit de mon trop de bonheur,
Et mes bras triomphants me déchirent le cœur.
À vaincre tant de fois mes forces s’affoiblissent :
L’État est florissant, mais les peuples gémissent ; 30
Leurs membres décharnés courbent sous mes hauts faits,
Et la gloire du trône accable les sujets[1].
Voyez autour de moi que de tristes spectacles !

  1. Voyez ci-dessus, p. 253, note 1.