Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/282

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Mais je ne voudrois pas que cet empressement 275
D’un soin étudié fît un attachement ;
Car enfin, aujourd’hui que la guerre est finie,
Votre facilité se trouveroit punie ;
Et son départ subit ne vous laisseroit plus
Qu’un cœur embarrassé de soucis surperflus. 280

Médée.

La remontrance est douce, obligeante, civile ;
Mais à parler sans feinte elle est fort inutile :
Si je n’ai point d’amour, je n’y prends point de part ;
Et si j’aime Jason, l’avis vient un peu tard.
Quoiqu’il en soit, ma sœur, nommeriez-vous un crime 285
Un vertueux amour qui suivroit tant d’estime ?
Alors que ses hauts faits lui gagnent tous les cœurs,
Faut-il que ses soupirs excitent mes rigueurs,
Que contre ses exploits moi seule je m’irrite,
Et fonde mes dédains sur son trop de mérite ? 290
Mais s’il m’en doit bientôt coûter un repentir.
D’où pouvez-vous savoir qu’il soit prêt à partir ?

Chalciope.

Je le sais de mes fils, qu’une ardeur de jeunesse
Emporte malgré moi jusqu’à le suivre en Grèce,
Pour voir en ces beaux lieux la source de leur sang, 295
Et de Phryxus leur père y reprendre le rang.
Déjà tous ces héros au départ se disposent :
Ils ont peine à souffrir que leurs bras se reposent ;
Comme la gloire à tous fait leur plus cher souci,
N’ayant plus à combattre, ils n’en ont plus ici : 300
Ils brûlent d’en chercher dessus quelque autre rive,
Tant leur valeur rougit sitôt qu’elle est oisive.
Jason veut seulement une grâce du Roi.

Médée.

Cette grâce, ma sœur, n’est sans doute que moi.
Ce n’est plus avec vous qu’il faut que je déguise. 305