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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/300

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LA TOISON D’OR.

D’Absyrte à ses beautés livrera toute l’âme ;
L’Amour me l’a promis : vous l’en verrez charmé[1] ;
Mais vous serez sans doute encor le plus aimé. 715
Il faut donc prévenir ce dieu qui l’a sauvée,
Emporter la toison avant son arrivée.
Votre amante paroît : agissez en amant
Qui veut en effet vaincre, et vaincre promptement.


Scène II

.
JASON, JUNON, MÉDÉE.
Médée.

Que faites-vous, ma sœur, avec ce téméraire ? 720
Quand son orgueil m’outrage, a-t-il de quoi vous plaire ?
Et vous a-t-il réduite à lui servir d’appui,
Vous qui parliez tantôt, et si haut, contre lui ?

Junon.

Je suis toujours sincère ; et dans l’idolâtrie
Qu’en tous ces héros grecs je vois pour leur patrie, 725
Si votre cœur étoit encore à se donner,
Je ferois mes efforts à vous en détourner :
Je vous dirois encor ce que j’ai su vous dire ;
Mais l’amour sur tous deux a déjà trop d’empire :
Il vous aime, et je vois qu’avec les mêmes traits… 730

Médée.

Que dites-vous, ma sœur ? il ne m’aima jamais.
À quelque complaisance il a pu se contraindre ;
Mais s’il feignit d’aimer, il a cessé de feindre,
Et me l’a bien fait voir en demandant au Roi,
En ma présence même, un autre prix que moi. 735

Junon.

Ne condamnons personne avant que de l’entendre.

  1. Var. L’amour me l’a promis : il en sera charmé. (1661 et 63)