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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/304

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LA TOISON D’OR.

Et si le moindre espoir de vaincre malgré vous
N’étoit un attentat contre votre courroux.
Oui, ce que nos destins m’ordonnent que j’obtienne,
Je le veux de vos mains, et non pas de la mienne.
Si ce trésor par vous ne m’est point accordé, 830
Mon bras me punira d’avoir trop demandé ;
Et mon sang à vos yeux, sur ce triste rivage,
De vos justes refus étalera l’ouvrage.
Vous m’en verrez, Madame, accepter la rigueur,
Votre nom en la bouche et votre image au cœur, 835
Et mon dernier soupir, par un pur sacrifice,
Sauver toute ma gloire et vous rendre justice.
Quel heur de pouvoir dire en terminant mon sort :
« Un respect amoureux a seul causé ma mort ! »
Quel heur de voir ma mort charger la renommée 840
De tout ce digne excès dont vous êtes aimée,
Et dans tout l’avenir…

Médée.

Et dans tout l’avenir…Va, ne me dis plus rien ;
Je ferai mon devoir, comme tu fais le tien.
L’honneur doit m’être cher, si la gloire t’est chère :
Je ne trahirai point mon pays et mon père ; 845
Le destin de l’État dépend de la toison,
Et je commence enfin à connoître Jason.
Ces paniques terreurs pour ta gloire flétrie
Nous déguisent en vain l’amour de ta patrie ;
L’impatiente ardeur d’en voir le doux climat 850
Sous ces fausses couleurs ne fait que trop d’éclat ;
Mais s’il faut la toison pour t’en ouvrir l’entrée,
Va traîner ton exil de contrée en contrée ;
Et ne présume pas, pour te voir trop aimé,
Abuser en tyran de mon cœur enflammé. 855
Puisque le tien s’obstine à braver ma colère,
Que tu me fais des lois, à moi qui t’en dois faire,