Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/309

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Hypsipyle.

Mais ici… Qui vous rend de la sorte immobile ?
Ne suis-je plus la même arrivant à Colchos ?

Jason.

Oui ; mais je n’y suis pas le même qu’à Lemnos.

Hypsipyle.

Dieux ! que viens-je d’ouïr ?

Jason.

Dieux ! que viens-je d’ouïr ? J’ai d’autres yeux, Madame :
Voyez cette princesse, elle a toute mon âme ; 945
Et pour vous épargner les discours superflus,
Ici je ne connois et ne vois rien de plus,

Hypsipyle.

Ô faveurs de Neptune, où m’avez-vous conduite ?
Et s’il commence ainsi, quelle sera la suite ?

Médée.

Non, non. Madame, non, je ne veux rien d’autrui : 950
Reprenez votre amant, je vous laisse avec lui[1].
Ne m’offre plus un cœur dont une autre[2] est maîtresse,
Volage, et reçois mieux cette grande princesse.
Adieu : des yeux si beaux valent bien la toison.

Jason, à Junon.

Ah ! Madame, voyez qu’avec peu de raison… 955

Junon.

Suivez sans perdre temps, je saurai vous rejoindre.
Madame, on vous trahit ; mais votre heur n’est pas moindre.
Mon frère, qui s’apprête à vous conduire au Roi,
N’a pas moins de mérite, et tiendra mieux sa foi.
Si je le connois bien, vous avez qui vous venge ; 960
Et si vous m’en croyez, vous gagnerez au change.
Je vous laisse en résoudre, et prends quelques moments
Pour rétablir le calme entre ces deux amants.


  1. Entre ce vers et le suivant, on lit dans l’édition de Voltaire : à Jason.
  2. L’édition de 1682 porte seule un autre, pour une autre.