Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/338

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Et si par cette injuste et douteuse colère 1620
Je pouvois m’assurer de ne vous pas déplaire !
Sans raison toutefois j’ose m’en défier ;
Il ne me faut que vous pour me justifier.
Vous avez trop bien vu l’effet de vos mérites
Pour garder un soupçon de ce que vous me dites ; 1625
Et du change nouveau que vous me supposez
Vous me défendez mieux que vous ne m’accusez.
Si vous avez pour moi vu l’amour d’Hypsipyle,
Vous n’avez pas moins vu sa constance inutile :
Que ses plus doux attraits, pour qui j’avois brûlé, 1630
N’ont rien que mon amour ne vous aye immolé ;
Que toute sa beauté rehausse votre gloire,
Et que son sceptre même enfle votre victoire :
Ce sont des vérités que vous vous dites mieux,
Et j’ai tort de parler où vous avez des yeux. 1635

Médée.

Oui, j’ai des yeux, ingrat, meilleurs que tu ne penses,
Et vois jusqu’en ton cœur tes fausses préférences.
Hypsipyle à ma vue a reçu des mépris ;
Mais quand je n’y suis plus, qu’est-ce que tu lui dis ?
Explique, explique encor ce soupir tout de flamme 1640
Qui vers ce cher objet poussoit toute ton âme[1],
Et fais-moi concevoir jusqu’où vont tes malheurs
De soupirer pour elle et de prétendre ailleurs.
Redis-moi les raisons dont tu l’as apaisée,
Dont jusqu’à me braver tu l’as autorisée : 1645
Qu’il te faut la toison pour revoir tes parents,
Qu’à ce prix je te plais, qu’à ce prix tu te vends.
Je tenois cher le don d’une amour si parfaite ;
Mais puisque tu te vends, va chercher qui t’achète,
Perfide, et porte ailleurs cette vénale foi 1650

  1. Voyez plus haut, p. 306, vers 1201.