Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/337

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Junon.

Quelques[1] chers qu’ils me soient, je veux bien m’y contraindre,
Et pour mieux vous ôter tout sujet de me craindre,
Le voilà qui paroît, je vous laisse avec lui.
Vous me rappellerez, s’il a besoin d’appui.



Scène IV

JASON, MÉDÉE.
Médée.

Êtes-vous prêt, Jason, d’entrer dans la carrière ? 1600
Faut-il du champ de Mars vous ouvrir la barrière,
Vous donner nos taureaux pour tracer des sillons
D’où naîtront contre vous de soudains bataillons ?
Pour dompter ces taureaux et vaincre ces gensdarmes,
Avez-vous d’Hypsipyle emprunté quelques charmes ? 1605
Je ne demande point quel est votre souci ;
Mais si vous la cherchez, elle n’est pas ici ;
Et tandis qu’en ces lieux vous perdez votre peine,
Mon frère vous pourroit enlever cette reine.
Jason, prenez-y garde, il faut moins s’éloigner 1610
D’un objet qu’un rival s’efforce de gagner,
Et prêter un peu moins les faveurs de l’absence
À ce qui peut entre eux naître d’intelligence.
Mais j’ai tort, je l’avoue, et je raisonne mal :
Vous êtes trop aimé pour craindre un tel rival ; 1615
Vous n’avez qu’à paroître, et sans autre artifice,
Un coup d’œil détruira ce qu’il rend de service.

Jason.

Qu’un si cruel reproche à mon cœur seroit doux
S’il avoit pu partir d’un sentiment jaloux,

  1. Voyez tome I, p. 205, note 3.