Mais après ce nuage en l’air évaporé,
On les a vus au joug et le champ labouré :
Lui, sans aucun effroi, comme maître paisible,
Jetoit dans les sillons cette semence horrible.
D’où s’élève aussitôt un escadron armé.
Par qui de tous côtés il se trouve enfermé.
Tous n’en veulent qu’à lui ; mais son âme plus fière
Ne daigne contre eux tous s’armer que de poussière.
À peine il la répand, qu’une commune erreur
D’eux tous, l’un contre l’autre, anime la fureur ;
Ils s’entr’immolent tous au commun adversaire :
Tous pensent le percer, quand ils percent leur frère ;
Leur sang partout regorge, et Jason au milieu
Reçoit ce sacrifice en posture d’un dieu ;
Et la terre, en courroux de n’avoir pu lui nuire,
Rengloutit l’escadron qu’elle vient de produire[1].
On va bientôt. Madame, achever à vos yeux
- ↑ On peut comparer à ce court récit les narrations semblables qui sont au VIIe livre des Argonautiques de Valérius Flaccus, au VIIe livre aussi des Métamorphoses d’Ovide, dans la xiie épître de ses Héroïdes et au IIIe acte de la Médée de Sénèque. On verra que Corneille s’est inspiré de ces poëtes plutôt qu’il ne les a imités, et qu’il a rendu librement à sa manière les circonstances qu’il leur a empruntées. Celui dont il se rapproche le plus est Valérius Flaccus, chez qui nous lisons par exemple :
Uterque
Taurus… immani proflavit turbine flammas
Arduus, atque atro volvens incendia fluctu
(vers 570-572) ;
Bis fulmineis se flatibus infert,
Obnubitque virum
(vers 583 et 584) ;
Ille velut campos Libyes ac pinguia Nili
Fertilis arva secet, plena sic semina dextra
Spargere gaudet agris, oneratque novalia bello
(vers 607-609) ;
Armarique phalanx totisque insurgere canipis
(vers 613) ;
et cette fin du récit :
Atque hausit subito sua funera tellus
(vers 643).