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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/351

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ACTE V, SCÈNE II.

Ce qu’ébauche par là votre abord en ces lieux. 1945
Soit Jason, soit Orphée, ou les fils de Borée,
Ou par eux ou par lui ma perte est assurée ;
Et l’on va faire hommage à votre heureux secours
Du destin de mon sceptre et de mes tristes jours.

Hypsipyle.

Connoissez mieux, Seigneur, la main qui vous offense : 1950
Et lorsque je perds tout, laissez-moi l’innocence.
L’ingrat qui me trahit est secouru d’ailleurs.
Ce n’est que de chez vous que partent vos malheurs,
Chez vous en est la source ; et Médée elle-même
Rompt son art par son art, pour plaire à ce qu’elle aime. 1955

Absyrte.

Ne l’en accusez point, elle hait trop Jason.
De sa haine. Seigneur, vous savez la raison :
La toison préférée aigrit trop son courage
Pour craindre qu’il en tienne un si grand avantage ;
Et si contre son art ce prince a réussi, 1960
C’est qu’on le sait en Grèce autant ou plus qu’ici.

Aæte.

Ah ! que tu connois mal jusqu’à quelle manie
D’un amour déréglé passe la tyrannie !
Il n’est rang, ni pays, ni père, ni pudeur,
Qu’épargne de ses feux l’impérieuse ardeur. 1965
Jason plut à Médée, et peut encor lui plaire ;
Peut-être es-tu toi-même ennemi de ton père,
Et consens que ta sœur, par ce présent fatal,
S’assure d’un amant qui seroit ton rival.
Tout mon sang révolté trahit mon espérance : 1970
Je trouve ma ruine où fut mon assurance ;
Le destin ne me perd que par l’ordre des miens,
Et mon trône est brisé par ses propres soutiens.

Absyrte.

Quoi ? Seigneur, vous croiriez qu’une action si noire…