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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/403

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ACTE II, SCENE II.

Encore une campagne, et nos seuls escadrons635
Aux aigles de Sylla font repasser les monts.
Et ces derniers venus auront droit de nous dire
Qu’ils auront en ces lieux établi notre empire !
Soyons d’un tel honneur l’un et l’autre jaloux ;
Et quand nous pouvons tout, ne devons rien qu’à nous…640

Sertorius

L’espoir le mieux fondé n’a jamais trop de forces ;
Le plus heureux destin surprend par les divorces[1] :
Du trop de confiance il aime à se venger ;
Et dans un grand dessein rien n’est à négliger.
Devons-nous exposer à tant d’incertitude645
L’esclavage de Rome et notre servitude,
De peur de partager avec d’autres Romains
Un honneur où le ciel veut peut-être leurs mains ?
Notre gloire, il est vrai, deviendra sans seconde,
Si nous faisons sans eux la liberté du monde ;650
Mais si quelque malheur suit tant d’heureux combats,
Quels reproches cruels ne nous ferons-nous pas !
D’ailleurs, considérez que Perpenna vous aime,
Qu’il est ou qu’il se croit digne du diadème,
Qu’il peut ici beaucoup, qu’il s’est vu de tout temps655
Qu’en gouvernant le mieux on fait des mécontents,
Que piqué du mépris, il osera peut-être…

Viriate

Tranchez le mot, Seigneur : je vous ai fait mon maître,
Et je dois obéir malgré mon sentiment ;
C’est à quoi se réduit tout ce raisonnement.660
Faites, faites entrer ce héros d’importance,
Que je fasse un essai de mon obéissance ;
Et si vous le craignez, craignez autant du moins
Un long et vain regret d’avoir prêté vos soins.

  1. Var. Le plus heureux destin surprend par ses divorces. (1662)