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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/411

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ACTE III, SCÈNE I.

Mais avant que d’entrer en ces difficultés,
Souffrez que je réponde à vos civilités.
Vous ne me donnez rien par cette haute estime
Que vous n’ayez déjà dans le degré sublime.
La victoire attachée à vos premiers exploits,795
Un triomphe avant l’âge où le souffrent nos lois,
Avant la dignité qui permet d’y prétendre[1],
Font trop voir quels respects l’univers vous doit rendre.
Si dans l’occasion je ménage un peu mieux
L’assiette du pays et la faveur des lieux,800
Si mon expérience en prend quelque avantage,
Le grand art de la guerre attend quelquefois l’âge ;
Le temps y fait beaucoup ; et de mes actions
S’il vous a plu tirer quelques instructions,
Mes exemples un jour ayant fait place aux vôtres, 805
Ce que je vous apprends, vous l’apprendrez à d’autres ;
Et ceux qu’aura ma mort saisis de mon emploi,
S’instruiront contre vous, comme vous contre moi.
Quant à l’heureux Sylla, je n’ai rien à vous dire.
Je vous ai montré l’art d’affoiblir son empire ;810
Et si je puis jamais y joindre des leçons
Dignes de vous apprendre à repasser les monts,
Je suivrai d’assez près votre illustre retraite
Pour traiter avec lui sans besoin d’interprète,
Et sur les bords du Tibre, une pique à la main[2], 815
Lui demander raison pour le peuple romain.

Pompée

De si hautes leçons, Seigneur, sont difficiles,
Et pourroient vous donner quelques soins inutiles,

  1. Pompée avait triomphé n’étant encore que simple chevalier, et « avant que la barbe luy fust venuë. » Voyez Plutarque, Vie de Sertorius, chapitre xviii, traduction d’Amyot.
  2. « On se servait encore de piques en France lorsqu’on représenta Sertorius, et cette expression était plus noble qu’aujourd’hui. » (Voltaire.)