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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/414

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SERTORIUS.

Et nous, qui jugeons tout sur la foi de nos yeux,
Et laissons le dedans à pénétrer aux Dieux,
Nous craignons votre exemple, et doutons si dans Rome
Il n’instruit point le peuple à prendre loi d’un homme ;
Et si votre valeur, sous le pouvoir d’autrui,875
Ne sème point pour vous lorsqu’elle agit pour lui.
Comme je vous estime, il m’est aisé de croire
Que de la liberté vous feriez votre gloire,
Que votre âme en secret lui donne tous ses vœux ;
Mais si je m’en rapporte aux esprits soupçonneux,880
Vous aidez aux Romains à faire essai d’un maître[1],
Sous ce flatteur espoir qu’un jour vous pourrez l’être.
La main qui les opprime, et que vous soutenez,
Les accoutume au joug que vous leur destinez ;
Et doutant s’ils voudront se faire à l’esclavage,885
Aux périls de Sylla vous tâtez leur courage.

Pompée

Le temps détrompera ceux qui parlent ainsi ;
Mais justifiera-t-il ce que l’on voit ici ?
Permettez qu’à mon tour je parle avec franchise ;
Votre exemple à la fois m’instruit et m’autorise :890
Je juge, comme vous, sur la foi de mes yeux,
Et laisse le dedans à pénétrer aux Dieux.
Ne vit-on pas ici sous les ordres d’un homme ?
N’y commandez-vous pas comme Sylla dans Rome ?
Du nom de dictateur, du nom de général,895
Qu’importe, si des deux le pouvoir est égal ?
Les titres différents ne font rien à la chose :
Vous imposez des lois ainsi qu’il en impose ;
Et s’il est périlleux de s’en faire haïr,
Il ne seroit pas sûr de vous désobéir[2].900

  1. Dans l’édition de 1692 : « à faire choix d’un maître. »
  2. Var. Il ne feroit pas sûr de vous désobéir. (1662 et 68)