Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/419

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
405
ACTE III, SCENE II.

Scène II.

Pompée, Aristie.
Pompée.

Me dit-on vrai, Madame, et seroit-il possible…

Aristie.

Oui, Seigneur, il est vrai que j’ai le cœur sensible :
Suivant qu’on m’aime ou hait, j’aime ou hais à mon tour,995
Et ma gloire soutient ma haine et mon amour.
Mais si de mon amour elle est la souveraine,
Elle n’est pas toujours maîtresse de ma haine ;
Je ne la suis pas même, et je hais quelquefois
Et moins que je ne veux et moins que je ne dois.1000

Pompée.

Cette haine a pour moi toute son étendue,
Madame, et la pitié ne l’a point suspendue ;
La générosité n’a pu la modérer.

Aristie.

Vous ne voyez donc pas qu’elle a peine à durer ?
Mon feu, qui n’est éteint que parce qu’il doit l’être, 1005
Cherche en dépit de moi le vôtre pour renaître ;
Et je sens qu’à vos yeux mon courroux chancelant
Trébuche, perd sa force, et meurt en vous parlant.
M’aimeriez-vous encor, Seigneur ?

Pompée.

M’aimeriez-vous encor, Seigneur ?Si je vous aime !
Demandez si je vis, ou si je suis moi-même :1010
Votre amour est ma vie, et ma vie est à vous.

Aristie.

Sortez de mon esprit, ressentiments jaloux ;
Noirs enfants du dépit, ennemis de ma gloire,
Tristes ressentiments, je ne veux plus vous croire.
Quoi qu’on m’ait fait d’outrage, il ne m’en souvient plus :1015