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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/421

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ACTE III, SCENE II.
Aristie.

Mais quoi ? N’êtes-vous pas entre les bras d’un autre[1] ?

Pompée.

Non : puisqu’il vous en faut confier[2] le secret,
Émilie à Sylla n’obéit qu’à regret.
Des bras d’un autre époux ce tyran qui l’arrache
Ne rompt point dans son cœur le saint nœud qui l’attache :1050
Elle porte en ses flancs un fruit de cet amour,
Que bientôt chez moi-même elle va mettre au jour ;
Et dans ce triste état, sa main qu’il m’a donnée
N’a fait que l’éblouir par un feint hyménée,
Tandis que toute entière à son cher Glabrion,1055
Elle paroît ma femme, et n’en a que le nom[3].

Aristie.

Et ce nom seul est tout pour celles de ma sorte :
Rendez-le-moi, Seigneur, ce grand nom qu’elle porte.
J’aimais votre tendresse et vos empressements ;
Mais je suis au-dessus de ces attachements ;1060
Et tout me sera doux, si ma trame coupée
Me rend à mes aïeux[4] en femme de Pompée,
Et que sur mon tombeau ce grand titre gravé
Montre à tout l’avenir que je l’ai conservé.
J’en fais toute ma gloire et toutes mes délices ;1065
Un moment de sa perte a pour moi des supplices.
Vengez-moi de Sylla, qui me l’ôte aujourd’hui,

  1. Tel est le texte des éditions publiées du vivant de l’auteur. Voyez tome I, p 228, note 3-a. Thomas Corneille et Voltaire lui donnent : « d’une autre. »
  2. L’édition de 1682 porte seule confirmer, pour confier.
  3. « Voulant, comment que ce fust, s’allier de Pompeius Magnus, il (Sylla) luy commanda de repudier la femme qu’il auoit espousee, et osta deja Magnus (Manius) Glabrio Æmylia fille d’Æmylius Scaurus et de Metella sa femme, et la luy feit espouser, toute grosse qu’ell estoit de son premier mary ; mais elle mourut en travail d’enfant au logis de Pompeius. » (Plutarque, Vie de Sylla, chapitre xxxiii, traduction d’Amyot.)
  4. On lit dans l’edition de 1666 : « Me rendre en mes ayeux. »