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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/430

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SERTORIUS.
Sertorius.

Je n’ai donc qu’à mourir en faveur de ce choix.
J’en ai reçu la loi de votre propre voix ;1240
C’est un ordre absolu qu’il est temps que j’entende.
Pour aimer un Romain, vous voulez qu’il commande ;
Et comme Perpenna ne le peut sans ma mort,
Pour remplir votre trône il lui faut tout mon sort.
Lui donner votre main, c’est m’ordonner, Madame, 1245
De lui céder ma place au camp et dans votre âme.
Il est, il est trop juste, après un tel bonheur,
Qu’il l’ait dans notre armée, ainsi qu’en votre cœur :
J’obéis sans murmure, et veux bien que ma vie…

Viriate.

Avant que par cet ordre elle vous soit ravie, 1250
Puis-je me plaindre à vous d’un retour inégal[1]
Qui tient[2] moins d’un ami qu’il ne fait d’un rival ?
Vous trouvez ma faveur et trop prompte et trop pleine !
L’hymen où je m’apprête est pour vous une gêne !
Vous m’en parlez enfin comme si vous m’aimiez !1255

Sertorius.

Souffrez, après ce mot, que je meure à vos pieds.
J’y veux bien immoler tout mon bonheur au vôtre ;
Mais je ne vous puis voir entre les bras d’un autre,
Et c’est assez vous dire à quelle extrémité
Me réduit mon amour, que j’ai mal écouté[3].1260
Bien qu’un si digne objet le rendît excusable,
J’ai cru honteux d’aimer quand on n’est plus aimable :
J’ai voulu m’en défendre à voir mes cheveux gris,
Et me suis répondu longtemps de vos mépris ;
Mais j’ai vu dans votre âme ensuite une autre idée,1265

  1. Inegal paraît etre employee ici dans le sens du latin iniquus, « inique, injuste. »
  2. L’edition de 1666 porte tint, pour tient.
  3. Var. Me réduit un amour que j’ai mal écouté. (1662-1668)