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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/431

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ACTE IV, SCÈNE II.

Sur qui mon espérance aussitôt s’est fondée ;
Et je me suis promis bien plus qu’à tous vos rois,
Quand j’ai vu que l’amour n’en ferait point le choix.
J’allois me déclarer sans l’offre d’Aristie :
Non que ma passion s’en soit vue alentie ;1270
Mais je n’ai point douté qu’il ne fût d’un grand cœur
De tout sacrifier pour le commun bonheur.
L’amour de Perpenna s’est joint à ces pensées ;
Vous avez vu le reste, et mes raisons forcées.
Je m’étois figuré que de tels déplaisirs1275
Pourroient ne me coûter que deux ou trois soupirs ;
Et pour m’en consoler[1] j’envisageois l’estime[2]
Et d’ami généreux et de chef magnanime ;
Mais près d’un coup fatal, je sens par mes ennuis[3]
Que je me promettois bien plus que je ne puis.1280
Je me rends donc, Madame ; ordonnez de ma vie :
Encor tout de nouveau je vous la sacrifie.
Aimez-vous Perpenna ?

Viriate.

Aimez-vous Perpenna ?Je sais vous obéir,
Mais je ne sais que c’est d’aimer ni de haïr ;
Et la part que tantôt vous aviez dans mon âme1285
Fut un don de ma gloire[4], et non pas de ma flamme.
Je n’en ai point pour lui, je n’en eus point pour vous :
Je ne veux point d’amant, mais je veux un époux ;
Mais je veux un héros, qui par son hyménée
Sache élever si haut le trône où je suis née,1290
Qu’il puisse de l’Espagne être l’heureux soutien,
Et laisser de vrais rois de mon sang et du sien.

  1. Dans l’édition de 1692, et dans celle de Voltaire, on lit : « Et pour me consoler. »
  2. Estime, réputation.
  3. Var. Mais près du coup fatal, je sens par mes ennuis. (1662)
  4. Ma gloire, ma fierté.