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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/444

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SERTORIUS.

Quand je lui veux partout faire des ennemis.
Parlez donc : quelque espoir que vous m’ayez vu prendre,
Si vous y prétendez, je cesse d’y prétendre.1570
Un reste d’autre espoir, et plus juste et plus doux,
Saura voir sans chagrin Sertorius à vous.
Mon cœur veut à toute heure immoler à Pompée
Tous les ressentiments de ma place usurpée ;
Et comme son amour eut peine à me trahir,1575
J’ai voulu me venger, et n’ai pu le haïr.
Ne me déguisez rien, non plus que je déguise.

Viriate.

Viriate à son tour vous doit même franchise,
Madame ; et d’ailleurs même on vous en a trop dit,
Pour vous dissimuler ce que j’ai dans l’esprit.1580
J’ai fait venir exprès Sertorius d’Afrique
Pour sauver mes États d’un pouvoir tyrannique[1] ;
Et mes voisins domptés m’apprenoient que sans lui
Nos rois contre Sylla n’étoient qu’un vain appui.
Avec un seul vaisseau ce grand héros prit terre ;1585
Avec mes sujets seuls il commença la guerre :
Je mis entre ses mains mes places et mes ports,
Et je lui confiai mon sceptre et mes trésors.
Dès l’abord il sut vaincre, et j’ai vu la victoire
Enfler de jour en jour sa puissance et sa gloire.1590
Nos rois, lassés du joug, et vos persécutés
Avec tant de chaleur l’ont joint de tous côtés,
Qu’enfin il a poussé nos armes fortunées
Jusques à vous réduire au pied des Pyrénées.
Mais après l’avoir mis au point où je le voi,1595
Je ne puis voir que lui qui soit digne de moi ;
Et regardant sa gloire ainsi que mon ouvrage,

  1. « Sertorius se partit d’Afrique, à la semonce des Lusitaniens, qui le choisirent pour leur capitaine general, auec plein pouvoir et authorité souveraine. » (Plutarque, Vie de Sertorius, chapitre xi, traduction d’Amyot.)