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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/48

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PERTHARITE

J’ai conquis votre cœur au péril de ma vie ;
Mais alors qu’il m’est dû, je suis en liberté
De vous laisser un bien que j’ai trop acheté,
335Et votre ambition est justement punie
Quand j’affranchis un roi de votre tyrannie.
Un roi doit pouvoir tout ; et je ne suis pas roi,
S’il ne m’est pas permis de disposer de moi.
C’est quitter, c’est trahir les droits du diadème,
340Que sur le haut d’un trône être esclave moi-même ;
Et dans ce même trône où vous m’avez voulu,
Sur moi comme sur tous je dois être absolu :
C’est le prix de mon sang ; souffrez que j’en dispose,
Et n’accusez que vous du mal que je vous cause.

ÉDÜIGE.

345Pour un grand conquérant que tu te défends mal !
Et quel étrange roi tu fais de Grimoald !
Ne dis plus que ce rang veut que tu m’abandonnes,
Et que la trahison est un droit des couronnes ;
Mais si tu veux trahir, trouve du moins, ingrat,
350De plus belles couleurs dans les raisons d’État.
Dis qu’un usurpateur doit amuser la haine
Des peuples mal domptés, en épousant leur reine ;
Leur faire présumer qu’il veut rendre à son fils
Un sceptre sur le père injustement conquis ;
355Qu’il ne veut gouverner que durant son enfance,
Qu’il ne veut qu’en dépôt la suprême puissance,
Qu’il ne veut autre titre en leur donnant la loi,
Que d’époux de la Reine et de tuteur du Roi ;
Dis que sans cet hymen ta puissance t’échappe,
360Qu’un vieil amour des rois la détruit et la sape ;
Dis qu’un tyran qui règne en pays ennemi
N’y sauroit voir son trône autrement affermi.
De cette illusion l’apparence plausible
Rendroit ta lâcheté peut-être moins visible ;