Tu vis en tous les deux l’amour croître avec l’âge.
Il porta dans l’Espagne et mon cœur et ma foi ;
Mais durant cette absence on disposa de moi[1].
J’immolai ma tendresse au bien de ma patrie :
Pour lui gagner Syphax, j’eusse immolé ma vie.
Il étoit aux Romains, et je l’en détachai ;
J’étois à Massinisse, et je m’en arrachai.
J’en eus de la douleur, j’en sentis de la gêne ;
Mais je servois Carthage, et m’en revoyois reine ;
Car afin que le change eût pour moi quelque appas,
Syphax de Massinisse envahit les États,
Et mettoit à mes pieds l’une et l’autre couronne,
Quand l’autre étoit réduit à sa seule personne[2].
Ainsi contre Carthage et contre ma grandeur
Tu me vis n’écouter ni ma foi ni mon cœur.
S’il faut qu’en son pouvoir sa victoire vous range ?
Nous vaincrons, Herminie ; et nos destins jaloux
Voudront faire à leur tour quelque chose pour nous ;
Mais si de ce héros je tombe en la puissance,
Peut-être aura-t-il peine à suivre sa vengeance,
Et que ce même amour qu’il m’a plu de trahir
Ne se trahira pas jusques à me haïr.
Jamais à ce qu’on aime on n’impute d’offense :
Quelque doux souvenir prend toujours sa défense.
L’amant excuse, oublie ; et son ressentiment
A toujours, malgré lui, quelque chose d’amant.