Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
517
ACTE III, SCENE VI.

Quand vos sujets ont cru que sans devenir traîtres
1090Ils pouvoient après vous se livrer à vos maîtres.
Votre exemple est ma loi, vous vivez et je vi ;
Et si vous fussiez mort, je vous aurois suivi.
Mais si je vis encor, ce n’est pas pour vous suivre :
Je vis pour vous punir de trop aimer à vivre ;
1095Je vis peut-être encor pour quelque autre raison
Qui se justifiera dans une autre saison.
Un Romain nous écoute ; et quoi qu’on veuille en croire,
Quand il en sera temps je mourrai pour ma gloire.
Cependant, bien qu’un autre ait le titre d’époux,
1100Sauvez-moi des Romains, je suis encore à vous ;
Et je croirai régner malgré votre esclavage,
Si vous pouvez m’ouvrir les chemins de Carthage.
Obtenez de vos dieux ce miracle pour moi,
Et je romps avec lui pour vous rendre ma foi.
1105Je l’aimai ; mais ce feu, dont je fus la maîtresse,
Ne met point dans mon cœur de honteuse tendresse :
Toute ma passion est pour ma liberté[1]
Et toute mon horreur pour la captivité.
Seigneur, après cela je n’ai rien à vous dire :
1110Par ce nouvel hymen vous voyez où j’aspire ;
Vous savez les moyens d’en rompre le lien :
Réglez-vous là-dessus, sans vous plaindre de rien.

  1. Var. Toute ma passion est pour la liberté(a). (1663)

    (a). Cette leçon, préférable peut-être, a été reproduite par l’édition de 1692 et par Voltaire.