Au lieu d’un conquérant par vos mains couronné,
Tramez à votre Rome un vainqueur enchaîné.
Je suis à Sophonisbe, et mon amour fidèle
Dédaigne et diadème et liberté sans elle ;
Je ne veux ni régner, ni vivre qu’en ses bras :
Non, je ne veux…
Seigneur, ne vous emportez pas.
Résolus à ma perte, hélas ! que vous importe
Si ma juste douleur se retient ou s’emporte ?
Mes pleurs et mes soupirs vous fléchiront-ils mieux ?
Et faut-il à genoux vous parler comme aux Dieux ?
Que j’ai mal employé mon sang et mes services,
Quand je les ai prêtés à vos astres propices,
Si j’ai pu tant de fois hâter votre destin,
Sans pouvoir mériter cette part au butin !
Si vous avez, Seigneur, hâté notre fortune,
Je veux bien que la proie entre nous soit commune ;
Mais pour la partager, est-ce à vous de choisir ?
Est-ce avant notre aveu qu’il vous en faut saisir ?
Ah ! si vous aviez fait la moindre expérience
De ce qu’un digne amour donne d’impatience,
Vous sauriez… Mais pourquoi n’en auriez-vous pas fait ?
Pour aimer à notre âge en est-on moins parfait ?
Les héros des Romains ne sont-ils jamais hommes[1] ?
Leur Mars a tant de fois été ce que nous sommes,
Et le maître des Dieux, des rois et des amants,
- ↑ Corneille se rappelle ici le fameux vers de son Sertorius (acte IV, scène i, vers 1194) :
Ah ! pour être Romain, je n’en suis pas moins homme.