Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Je la regarde en reine, et non pas en rivale ;
Je vois dans son destin le mien enveloppé,
Et du coup qui la perd tout mon cœur est frappé.
Par votre ordre on la quitte ; et cet ami fidèle
1740Me pourroit, au même ordre, abandonner comme elle.
––Disposez de mon sceptre, il est entre vos mains :
Je veux bien le porter au gré de vos Romains.
Je suis femme ; et mon sexe accablé d’impuissance
Ne reçoit point d’affront par cette dépendance ;
1745Mais je n’aurai jamais à rougir d’un époux
Qu’on voie ainsi que moi ne régner que sous vous.

Lélius
Détrompex-vous, Madame ; et voyez dans l’Asie
Nos dignes alliés régner sans jalousie,
Avec l’indépendance, avec l’autorité
1750Qu’exige de leur rang toute la majesté.
Regardez Prusias, considérez Attale,
Et ce que souffre en eux la dignité royale.
Massinisse avec vous, et toute autre moitié,
Recevra même honneur et pareille amitié.
1755Mais quant à Sophonisbe, il m’est permis de dire
Qu’elle est Carthaginoise ; et ce mot doit suffire.
––Je dirois qu’à la prendre ainsi sans notre aveu,
Tout notre ami qu’il est, il nous bravoit un peu ;
Mais comme je lui veux conserver votre estime,
1760Autant que je le puis je déguise son crime,
Et nomme seulement imprudence d’État
Ce que nous aurions droit de nommer attentat.


Scène VI – Lélius, Éryxe, Lépide, Barcée

Lélius