Je la regarde en reine, et non pas en rivale ;
Je vois dans son destin le mien enveloppé,
Et du coup qui la perd tout mon cœur est frappé.
Par votre ordre on la quitte ; et cet ami fidèle
Me pourroit, au même ordre, abandonner comme elle.
Disposez de mon sceptre, il est entre vos mains :
Je veux bien le porter au gré de vos Romains.
Je suis femme ; et mon sexe accablé d’impuissance
Ne reçoit point d’affront par cette dépendance ;
Mais je n’aurai jamais à rougir d’un époux
Qu’on voie ainsi que moi ne régner que sous vous.
Détrompez-vous, Madame ; et voyez dans l’Asie
Nos dignes alliés régner sans jalousie,
Avec l’indépendance, avec l’autorité
Qu’exige de leur rang toute la majesté.
Regardez Prusias, considérez Attale[1],
Et ce que souffre en eux la dignité royale.
Massinisse avec vous, et toute autre moitié,
Recevra même honneur et pareille amitié.
Mais quant à Sophonisbe, il m’est permis de dire
Qu’elle est Carthaginoise ; et ce mot doit suffire.
Je dirois qu’à la prendre ainsi sans notre aveu,
Tout notre ami qu’il est, il nous bravoit un peu ;
Mais comme je lui veux conserver votre estime[2],
Autant que je le puis je déguise son crime,
Et nomme seulement imprudence d’État
Ce que nous aurions droit de nommer attentat.