Aller au contenu

Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 6.djvu/625

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
611
ACTE III, SCENE I.

815Il arrête les vœux, captive les desirs,
Abaisse les regards, étouffe les soupirs,
Dans le milieu du cœur enchaîne la tendresse[1] ;
Et tel est en aimant le sort d’une princesse,
Que quelque amour qu’elle ait et qu’elle ait pu donner[2],
820Il faut qu’elle devine, et force à deviner ;
Quelque peu qu’on lui die[3], on craint de lui trop dire :
À peine on se hasarde à jurer qu’on l’admire ;
Et pour apprivoiser ce respect ennemi,
Il faut qu’en dépit d’elle elle s’offre à demi.
825Voyez-vous comme Othon sauroit encor se taire,
Si je ne l’avois fait enhardir par mon frère ?

CAMILLE.

Tu le crois donc, qu’il m’aime ?

ALBIANE.

Tu le crois donc, qu’il m’aime ?Et qu’il lui seroit doux
Que vous eussiez pour lui l’amour qu’il a pour vous.

CAMILLE.

Hélas ! que cet amour croit tôt ce qu’il souhaite !
830En vain la raison parle, en vain elle inquiète,
En vain la défiance ose ce qu’elle peut,
Il veut croire, et ne croit que parce qu’il le veut.
Pour Plautine ou pour moi je vois du stratagème,
Et m’obstine avec joie à m’aveugler moi-même.
835Je plains cette abusée, et c’est moi qui la[4] suis

  1. Var. Dans le milieu du cœur enchaîne sa tendresse. (1665 et 66)
  2. Ce vers est imprimé ainsi dans l’édition originale (1665) :
    Que quelque amour qu’elle aye et qu’elle ait pu donner ;
    comme si l’orthographe de l’auxiliaire à ce temps était aye devant une voyelle et ait devant une consonne. De nombreux exemples paraissent confirmer cette règle dans les anciennes éditions, mais elles en offrent beaucoup aussi qui les contredisent. Ici, toutes les éditions postérieures à 1665 ont ait aux deux endroits.
  3. Ici encore Thomas Corneille a changé die en dise.
  4. Voltaire a changé la en le.