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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/125

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ACTE I, SCÈNE II.

De laquelle ils auront ou plus ou moins d’appui,100
Qui des deux, honoré par ces nœuds domestiques,
Nous vengera le mieux des Champs catalauniques[1] ;
Et qui des deux enfm, déchu d’un tel espoir.
Sera le plus à craindre à qui veut tout pouvoir.

ARDARIC.

En l’état où le ciel a mis votre puissance,105
Nous mettrions en vain les forces[2] en balance :
Tout ce qu’on y peut voir ou de plus ou de moins
Ne vaut pas amuser le moindre de vos soins.
L’un et l’autre traité suffit pour nous instruire
Qu’ils vous craignent tous deux et n’osent plus vous nuire.110
Ainsi, sans perdre temps à vous inquiéter,
Vous n’avez que vos yeux, Seigneur, à consulter.
Laissez aller ce choix du côté du mérite
Pour qui, sur[3] leur rapport, l’amour vous sollicite :
Croyez ce qu’avec eux votre cœur résoudra :115
Et de ces potentats s’offense qui voudra.

ATTILA.

L’amour chez Attila n’est pas un bon suffrage ;
Ce qu’on m’en donneroit me tiendroit lieu d’outrage,
Et tout exprès ailleurs je porterois ma foi,
De peur qu’on n’eût par là trop de pouvoir sur moi.120
Les femmes qu’on adore usurpent un empire
Que jamais un mari n’ose ou ne peut dédire.
C’est au commun des rois à se plaire en leurs fers,
Non à ceux dont le nom fait trembler l’univers.
Que chacun de leurs yeux aime à se faire esclave ;125
Moi, je ne veux les voir qu’en tyrans que je brave :

  1. On désigne sous ce nom les plaines situées entre Châlons-sur-Marne (Catalaunum) et Troyes, où Attila fut défait en 451 par Aétius, général romain, qui avait réuni sous ses ordres les Burgondes, les Saxons, les Alains, les Francs, les Visigoths.
  2. L’édition de 1692 et celle de Voltaire (1764) portent leurs forces.
  3. L’édition de 1682 donne seul, au lieu de sur, ce qui n’a point de sens.