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Page:Corneille, Pierre - Œuvres, Marty-Laveaux, 1862, tome 7.djvu/160

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ATTILA.

Mes[1] deux traités de paix m’ont donné deux princesses,965
Dont l’une aura ma main, si l’autre eut mes tendresses ;
L’une aura ma grandeur, comme l’autre eut mes vœux :
C’est ainsi qu’Attila se partage à vous deux.
N’en murmurez, Madame, ici non plus que l’autre ;
Sa part la satisfait, recevez mieux la vôtre ;970
J’en étois idolâtre, et veux vous épouser.
La raison ? c’est ainsi qu’il me plaît d’en user[2].

HONORIE.

Et ce n’est pas ainsi qu’il me plaît qu’on en use :
Je cesse d’estimer ce qu’une autre refuse,
Et bien que vos traités vous engagent ma foi,975
Le rebut d’Ildione est indigne de moi.
Oui, bien que l’univers ou vous serve ou vous craigne.
Je n’ai que des mépris pour ce qu’elle dédaigne.
Quel honneur est celui d’être votre moitié.
Qu’elle cède par grâce, et m’offre par pitié ?980
Je sais ce que le ciel m’a faite[3] au-dessus d’elle,
Et suis plus glorieuse encor qu’elle n’est belle.

ATTILA.

J’adore cet orgueil, il est égal au mien,
Madame ; et nos fiertés se ressemblent si bien.
Que si la ressemblance est par où l’on s’entr’aime,985
J’ai lieu de vous aimer comme une autre moi-même[4].

HONORIE.

Ah ! si non plus que vous je n’ai point le cœur bas,
Nos fiertés pour cela ne se ressemblent pas.
La mienne est de princesse, et la vôtre est d’esclave :
Je brave les mépris, vous aimez qu’on vous brave ;990

  1. L’édition de 1682 donne, par erreur, mais, au lieu de mes.
  2. C’est la traduction du vers bien connu (Juvénal, satire vi, vers 223) :

    Hoc volo, sic juheo, sit pro ratione voluntas.
  3. Les deux éditions de 1668 ont faite ; celles de 1682, de 1692 et de Voltaire (1764) portent fait, sans accord.
  4. Voltaire (1764) a remplacé une autre moi-même par un autre moi-même.